Projection du film D'Goda (1975), le 28 février 2023

Dans tous les villages, il y avait une femme qui était marraine (Goda) de plusieurs enfants. C'était une sorte d'autorité tranquille, incarnant la sagesse populaire. 

Dans d'Goda, la marraine se désespère de voir son fils la pousser à vendre sa terre agricole pour en faire un terrain de construction. Elle loue finalement son terrain à un jeune couple (Xandri et Michela) qui malgré sa réussite en ville, veut retourner à la terre. On est au milieu des années 70 et le "progrès" est en marche. On sacrifie des siècles d'histoire et de paysannerie sur l'autel de l'argent et de l'urbanisation, et on détruit une langue au profit d'un français décrété plus moderne. Des thèmes forts encore d'actualité aujourd'hui.

Une projection possible grâce au long travail de restauration de Vincent FROEHLY et Corentin BAEUMLER.

Louis SCHITTLY :

Fondateur de "Médecins sans frontière" avec Bernard Kouchner et tous les "french doctors", Louis Schittly avait découvert en 1969 la guerre et ses absurdités au Biafra, sous l'égide de la Croix Rouge. Quelques années plus tard, il part pour le compte de la Crois de Malte soigner les blessés du conflit vietnamien. A son retour d'Asie en 1975, il revient au village, dans la ferme familiale de Bernwiller avec une conviction qui déterminera toute ses actions à venir et constatée sur ces deux terrains de guerre : la fin programmée de la petite paysannerie. "J'ai vu mon frère s'épuiser à faire vivre la ferme familiale, se souvient Louis Schittly. Après les guerres physiques du Biafra et du Vietnam, j'assistais à la guerre économique contre la petite paysannerie. Ce monde venu du Néolithique, doucement s'efface au nom du progrès !"

Avec D'Goda, Louis Schittly crie haut et fort ses convictions pour que les gens se réveillent et se rendent compte de ce qui se passe. Il tourne un film social bien au-delà d'un discours déplorant la perte d'une identité régionale. Il témoigne de l'impuissance des "petites" gens face à une mutation économique insidieuse, qui au final, par la perte d'humanité qu'elle engendre, apporte plus de malheur que de bonheur. Film manifeste, en presque 50 ans, d'Goda n'a pas pris une ride.

"J'ai eu du plaisir à tourner ce film, en six semaines à Bernwiller et dans les environs. Je l'ai fait pour provoquer la discussion dans ces villages de paysans, menacés de disparition et où les grands-parents ne pouvaient même plus communiquer avec leurs petits-enfants."

Par son unique film, puis par de nombreux livres, mais surtout par son action humaniste et humanitaire qui n'a jamais cessée, Louis Schittly a poursuivit son combat pour la sauvegarde de la petite paysannerie, base de toute vie, de toute forme d'écologie. Son discours autrefois souvent controversé, montre malheureusement tout l'espect visionnaire qu'il avait.

Daniel SCHLOSSER :

Diplômé en montage cinéma et en réalisation, et après avoir réalisé 2 courts métrages, Daniel schlosser entre à la Télévision Suisse Romande à Genève. A 21 ans, il est le plus jeune monteur titularisé de la chaîne. Inspiré par l'émergence du nouveau cinéma suisse dans les années 70, il démissionne et retourne au bout de 3 ans en Alsace, avec l'intention de créer du cinéma régional.

La rencontre avec Louis Schittly est décisive. Ils partagent les mêmes valeurs, dont la sauvegarde de la langue maternelle. Louis écrit le scénario de d'Goda qui sera le premier long métrage indépendant en alsacien, entièrement produit en Alsace. En 1983 il est à l'origine d'un centre audiovisuel, à l'Agence Culturelle d'Alsace. Il dirige cette structure, qui soutient les projets de nombreux réalisateurs, durant une douzaine d'années. A partir des années 90, il réalise des documentaires pour France 3 : "Sur la piste des indiennes", "Vauban, ingénieur ordinaire du roi", "Mulhouse, un portait", "Bouboule reviens", "Le grand canal" etc. Il est également chargé de cours de scénario et de réalisation dans le cadre d'un diplôme audiovisuel mis en place à l'Université de Strasbourg.

Après avoir réalisé durant 30 ans des documentaires pour la télévision, Daniel Schlosser renoue avec des films engagés : "Un héritage en herbes", "En quête des nouveaux herboristes", largement diffusés en salles, dans toute la France, ont contribué à la reconnaissance officielle de l'herboristerie. Tournée dans le Valais "Germaine et les dons de la nature" valorise les connaissances des anciens.

En réaction à l'enfermement des élèves entre 4 murs et 15 minutes de récréation dans une cour bétonnée, "La forêt c'est la classe" montre tous les bienfaits de l'école du dehors. Le film sera diffusé en 2023 à la télévision puis en salles de cinéma.

Vincent FROEHLY :

"Lorsque j'ai vu pour la première fois D'Goda, j'avais 20 ans. Je venais de rencontrer Louis Schittly et nous venions de faire notre premier voyage ensemble en Afrique de l'Ouest pour l'association Trans Afrique Organisation. Nous ne cessions de voyager ensemble à partir de là. Les discussions autour du feu, les découvertes communes, les rencontres et les échanges de livres n'ont jamais cessé d'alimenter nos reflexions. Son livre Näsdla, le livre qui parle de nous autres Sundgauviens, paysans et fils de paysans, est une sorte de bible que l'on retrouve dans toutes les maisons. J'étais convaincu que rendre D'Goda, le film cousin du livre Näsdla, visible au plus grand nombreux de gens, était une absolue nécessité. Les réflexions, les colères, les parties de rigolades, les thèmes abordés sont aujourd'hui encore d'actualité et aident à alimenter notre pensée commune. Le film montre un temps où nous vivions ensemble, ce qui est sans doute la plus grande chose que nous ayons perdue, en cherchant le bonheur individuel dans les lumières brulantes et mal définies de la sacro-sainte modernité ! Voir ce film de Louis Schittly et Daniel Schlosser aujourd'hui, montre à quel point nous nous sommes trompés de chemin, mais qu'il n'est jamais trop tard pour corriger un mauvais cap..."

Vincent Froehly est cinéaste. Il a à son actif plus d'une quarantaire de films documentaires, tous primés ou diffusés à la télévision. Pour Arte et France 3 en priorité, il a sillonné le monde pour réaliser principalement des films toujours liés à la terre, aux petits paysans, au monde rural et aux problématiques qui y sont inscrites. Après avoir racheté les droits du film D'Goda, il a produit et supervisé artitiquement la restauration du film tel qu'il est présenté aujourd'hui, avec l'aide de Corention Baeumler qui en fut le superviseur technnique.